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Au revoir Monsieur Rohmer

11 janvier 2010
Posté Attualità, Culture, Opinioni, Opinions
de Giovanni Biglino

Monsieur Eric Rohmer (1920-2010), un maître de Légèreté, infatigable, un des directeurs de film français les plus célèbres. Un théoricien de l’art du Cinéma, un directeur sensible, un acteur libre qui y a trouvé sa propre langue et y est resté fidèle pendant un demi-siècle avec délicatesse et talent, évitant contradictions et demi-tours, sans perdre son indubitable sens du contact. Peut-être qu’il a glissé de temps en temps (son Perceval), mais c’est humain dans une excellente carrière qui a commencé il y a cinquante ans par Le signe du Lion (1959), un hymne à Paris.

Né Jean Marie Maurice Schérer, son début est celui d’un auteur, quand en 1946 il a publié Elisabeth, un roman – caractérisé par la prose subtile – qui nous laisse anticiper le style des scénarios de ses films futurs. Le livre est sorti avec le pseudonyme Gilbert Cordier. Un pseudonyme est souvent associé à la honte et la rancœur (regarder Stendhal) et à cet égard Monsieur Rohmer, avec son double nom de plume, avait probablement quelque chose à révéler.

Après les premiers longs métrages, l’artiste commence à voir son chemin. Son aventure dans le monde du cinéma d’art et d’essai a commencé. Directeur d’une part et, de l’autre, théoricien. En fait, Rohmer était le Rédacteur du Cahiers du cinéma pendant quelques années. C’étaient les années de Godard, Chabrol, Rivette, Eustache, Truffaut. Les années de films inoubliables (la légende de À bout de souffle, l’histoire poétique de Jules et Jim) quand Rohmer a choisi sa position (sur la touche) pour jouer un jeu indépendant. Il conçoit un projet ambitieux : les cycles de films (des histoires aux scènes différentes, sur des niveaux multiples) dans lesquels il a l’intention de retracer les facettes infinies de l’âme humaine, le manque de valeur et la complexité, la splendeur et la fragilité, avec tous les aspects comiques (ou tragi-comique).

Le premier cycle est celui des Contes Moraux. Six films stupéfiants, de grande profondeur, vraiment différents les uns des autres et pourtant tous liés dans un cercle fermé. La boulangère de Monceau (1962), La carrière de Suzanne (1963), La collectionneuse (1967), Ma nuit chez Maud (1969), Le genou de Claire (1970)  et L’amour l’après-midi (1972).  Chacune de ces histoires implique un choix moral, un dilemme qui rend perplexe le personnage, une décision importante à prendre. Ce sont les dialogues serrés entre Jean-Louis Trintignat et Françoise Fabian (Maud inoubliable), c’est l’obsession concentrée sur le genou de la jeune séduisante (et arrogante) Claire, c’est les pensées des trois personnages de La collectionneuse (une sorte de Jules et Jim avec des couleurs empruntées à Matisse et Bonnard).

Cette méditation en six actes est suivie par une pause historique, pendant laquelle Rohmer dirige La marquise Von (1976, inspiré par un court roman de Heinrich von Kleist, un beau film caractérisé par l’éclairage magistral) et Perceval le Gallois (1978, une lourde adaptation de Chrétiens de Troyes). Voici les digressions historiques et littéraires, reprises par Rohmer vers la fin de sa carrière dans L’anglaise et  le duc (2001).

De nouveau absorbé dans la vie quotidienne, Rohmer introduit un deuxième cycle, celui des Comédies et Proverbes. Si l’objectif est toujours le même (un homme, une femme, leur psychologie), la tactique a changé : un adage folklorique est cité et présenté dans le contexte d’une plage en Bretagne ou dans le Paris des années 1980. Les films dans ce cycle sont : La femme de l’aviateur (1981), Le beau mariage (1982), Pauline à la plage (1982), Les nuits de pleine lune (1984), Le rayon vert (1986),  Reinette et Mirabelle (1987) et L’ami de mon amie (1987).

Tous ces films ont joui du succès des critiques et du public, tous ont été caractérisés par la marque de Rohmer: les dialogues se poursuivant et l’entrelaçant, les lieux simples (souvent des côtes, mais aussi souvent la campagne, un Paris inattendu), les acteurs accomplis (intelligemment dirigé mais aussi libres d’improviser pour transmettre plus de spontanéité aux mémorables dialogues en mouvement constant).
Un autre cycle suit, celui des Quatre Saisons : Conte de printemps (1989), Conte d’hiver (1991), Conte d’été (1996) et Conte d’automne (1998). Les saisons sont identifiées avec leurs couleurs – le bleu clair du ciel de la Normandie pour l’Été, le rouge, vert et brun des vignes pour l’Automne. La sensibilité est, à ce jour, familière : les méditations d’un jeune homme attrapé dans ses rêves et dans son incertitude, deux amis dans leur jeune âge s’amusant dans une comédie de malentendus (sérieux, mais avec un sourire). Jonglerie et mise en équilibre.

Il y a aussi des films à l’extérieur des cycles. Ce Rendez-vous à Paris, dans lequel la structure est toujours typique de Rohmer. L’anglaise et le duc (2001) des mémoires de Lady Grace Dalrymple Elliot, amante du Duc d’Orléans interprété par l’excellente Lucy Russell. Et ici Monsieur Rohmer trouve une de ses forces : le goût inégalé dans choix des acteurs. Les acteurs qui donnent une performance stupéfiante et disparaissent ensuite (de l’écran, pas dans la mémoire du public), comme Politoff Haydée, le personnage de La collectionneuse. Mais aussi les légendes du cinéma français : Françoise Fabian (la séduisante Maud) et Jean-Louis Trintignat. André Dussolier et Barbet Schroeder, Arielle Dombasle et Pascal Greggory. Certains des acteurs et des actrices sont fétiches, surtout Béatrice Romand (jeune dans Le genou de Claire, ensuite dans Le beau mariage, pour lequel on lui a attribué la Coppa Volpi à Venise) et Marie Riviére (vu dans La femme de l’aviateur et rayon vert). Les deux unies dans le Conte D’automne dans une double interprétation mémorable. Ou encore de jeunes acteurs prometteurs, comme Melvil Poupaud dans le Conte D’été.

En général la force du cinéma de Rohmer repose sur sa délicatesse. La capacité de retracer la fragilité d’une relation, l’intensité d’une impulsion, la complexité d’un doute. Souvent entrelacés avec les mouvements du corps (le directeur très observateur, les acteurs très raffiné), les sentiments sont les vrais acteurs des débats moraux, des comédies et des proverbes, des saisons de la vie (un été passionné, un automne mélancolique finissant avec un sourire). Un film de Rohmer peut être ironique, humoristique, subtilement triste, manifestement intime – mais toujours, cependant, profondément humain.



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