Être léger, c’est une qualité. Être trop léger, c’est irritant : Charles Dantzig sait cela, qui ne cesse de se battre pour moins de mots, plus de suggéré. Dans ce dictionnaire à entrées plus ou moins liées à la littérature, lui qui affirme que la plus parfaite ellipse consisterait à ne rien dire a tendance à être sec, saccadé. Il. Veut. Être. Clair. Cela fait un peu professeur, mais un professeur qui remettrait tout en question ; de Hugo à Chateaubriand, il juge les écrivains qu’il a choisis avec humour, finesse, et un œil neuf, personnel. Il devait croire qu’écrire un dictionnaire ferait que personne ne lirait son œuvre en entier, et bien c’est raté. Et là où il est pédagogue, c’est quand il répète les mêmes choses pour bien faire comprendre qu’il est anticonformiste ; son leitmotiv : la fiction est vraie. Allons, soyons honnête, il s’excuse de ses redites.
Ah, ces créatifs (Dantzig a publié plusieurs romans et recueils de poèmes) ! Ils s’interdisent toute admiration trop marquée, de peur d’oblitérer leur propre génie. Son expression favorite est « ça n’est pas mal ». Il doit croire que cela lui donne un air détaché. Cela contribue surtout à faire « entendre sa voix », comme il dirait : Dantzig nous parle. Amen. Quand on dit qu’il s’interdit l’admiration, c’est-à-dire que tous les écrivains classiques trouvent toujours à ses yeux de quoi être critiqués. On l’imagine refermer un livre : « oui, mais quand même. » Il fronce un peu le nez. Il a envie qu’un truc cloche. Tandis que Joseph de Maistre, Mathurin Régnier, Jean de la Ville de Mirmont, ah, eux… Il doit se dire que ceux-ci sont trop peu connus pour qu’on leur adresse en plus des reproches. Alors son éloge est sans nuance, car X est au fond un bien meilleur écrivain que Proust, dont l’humour n’est pas toujours « de bon goût ». Qui aime bien châtie bien, et Dantzig a ses têtes : Proust, Laforgue surtout.
Rendons à Charles Dantzig ce qui lui est dû : il est très drôle, parfois malgré lui, quand il abuse des images (Léon Bloy : « au fond de son Luna Park mystique, tout petit, moustachu, les yeux rouges, il remue les bras derrière son comptoir ») ; quand il va à la ligne pour nous asséner un aphorisme (pas toujours) bien senti (« le plus simple est d’avoir du génie ») voire un poncif (« les images sont des sentiments). Oui, parfois il énerve. Un petit air de « j’ai tout compris ». Mais comment ne pas se plaindre de la médiocrité ambiante quand on est un être aussi cultivé que Dantzig ? Pour être honnête, on ne peut pas dire qu’il en fasse l’étalage plus que de raison. Seulement parfois, ses références s’adressent à lui-même (« Jean-Paul Sartre avait une petite voix pincée de présentateur d’actualités cinématographiques d’avant-guerre ») et on devine qu’il s’en frappe les cuisses. Aragon, au-delà des dix premières pages d’Aurélien ? « Diderot vire à Romain Rolland ». Mais à qui s’adresse ce glissement ? Chez Dantzig, les choses ne sont pas « comme », ni ne « ressemblent à » : les choses sont. Au fond, Voltaire est Maurice Sachs, Madame de Lafayette est François Villon, il suffit de regarder d’un certain angle. Dantzig court en rond, il voit tous les angles.
On apprécie les allusions à son propre cas, souvent assez enlevées, même si elles ne manquent pas de rappeler qu’il savourait Verlaine dans le texte à un âge où vos enfants lisent Astrapi. Mais Verlaine, ça n’est pas mal. Lisons Dantzig pour sa lucidité : « Mettons que le roman soit un abat-jour. Il se trouvera toujours un Français pour lui reprocher de ne pas être une banane. »
Charles Dantzig, Dictionnaire égoïste de la littérature française, 1 147 pages, Le Livre de poche.
Grand Prix des Lectrices Elle 2006 dans la catégorie Document…