Pas un instant, medicine Nelly Alard ne rompt le fil ténu de cette courte trame familiale, medicine et particulièrement paternelle : elle choisit de décrire rétrospectivement, au cours de la semaine qui précède l’enterrement du père, les humiliations que celui-ci avait coutume de faire subir à ses enfants.
Sur un fond de mer bretonne, lui qui est dénoncé à la deuxième personne semble s’amuser des peines de ses filles à vider les poissons de leurs entrailles, et rire de leur dégoût. C’est avec la même jouissance qu’il refuse à la narratrice la moindre sortie sans qu’il ait vu celle-ci faire couler quelques larmes…
Nelly Alard écrit avec une rage contenue qui rarement déborde. Cette rancœur, elle l’évacue par un humour noir et un cynisme salvateurs : lors de la mise au tombeau familial, s’engage une sorte de Tetris pour respecter le placement des cercueils et les inimitiés qui lient leurs habitants.
Le récit est couplé avec des extraits de vieilles légendes du pays, ce qui confère au tout une atmosphère mystique. Si l’héroïne paraît loin du pardon, on comprend petit à petit pourquoi ce ressentiment accumulé n’a pas provoqué l’explosion de la famille. Le géniteur, malgré lui, connaît un déclin particulier… qui peut-être le réhabilita quelque peu auprès des siens. Sans quoi ce roman, prix Roger-Nimier 2010, n’eût sûrement jamais vu le jour.
Nelly Alard, Le Crieur de nuit, éditions Gallimard, 113 pages.