Prix Wepler 2000 et Prix Livre Inter 2001 pour Apprendre à finir. Prix du roman Fnac 2006 pour Dans la foule. Prix des libraires 2009 pour Des hommes. Voici Laurent Mauvignier, l’auteur cette année d’un court récit composé d’une seule phrase de longue haleine et poétiquement nommé : Ce que j’appelle oubli.
Qu’appelle-t-il oubli ? Est-ce ce sentiment de négligence de soi, de manquement à sa propre conscience, qui a poussé plusieurs vigiles à tabasser un sans-abri à mort parce qu’il venait de boire une canette en douce dans un rayon du supermarché ? Est-ce l’oubli de la famille, qui a laissé sciemment chuter dans la misère cet homme qui était son frère, son fils ? Ou est-ce encore celui qui frappera sa mémoire, après qu’il aura été enterré – couvert encore d’ecchymoses ? Peut-être un peu des trois. Dans ce fait divers sordide librement adapté, Laurent Mauvignier touche. Son livre ressemble à une brève extrapolée, comme si les trois lignes habituelles avaient été étirées au maximum. En effet, on assiste à ce qui précède, et ce qui suit cet horrible incident. L’arrivée candide de l’individu au supermarché, puis sa sortie les pieds devant, puis la honte des hommes qui comprennent, puis la honte de leurs proches, de leurs voisins.
Ce que j’appelle oubli est un film au ralenti. Les coups portent plus douloureusement. Face à une telle absurdité, Mauvignier répond par un texte. C’est le seul hommage que l’écrivain puisse faire, rendre compte. Une fois de plus, les éditions de Minuit prouvent leur audace et leur sagacité : ce texte-bloc traduit peut-être le dernier souffle du sans-abri, qui perçoit le passé proche, et le futur. En 1970, Michel Foucault disait dans un discours : « plutôt que de prendre la parole, j’aurais voulu être enveloppé par elle ». Ce texte, qui commence par une minuscule et se termine par un tiret, y réussit.
Laurent Mauvignier, Ce que j’appelle oubli, Éditions de Minuit, 62 pages.